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CH. VII. LA PLÈBE ENTRE DANS LA CITÉ.

tive fut faite en ce sens. La question des dettes, qui agita Rome à cette époque, ne peut s’expliquer que si l’on voit en elle la question plus grave de la clientèle et du servage. La plèbe romaine, dépouillée de ses terres, ne pouvait plus vivre. Les patriciens calculèrent que par le sacrifice de quelque argent ils la feraient tomber dans leurs liens. L’homme de la plèbe emprunta. En empruntant, il se donnait au créancier, se vendait à lui. C’était si bien une vente que cela se faisait per æs et libram, c’est-à-dire avec la formalité solennelle que l’on employait d’ordinaire pour conférer à un homme le droit de propriété sur un objet[1]. Il est vrai que le plébéien prenait ses sûretés contre la servitude ; par une sorte de contrat fiduciaire, il stipulait qu’il garderait son rang d’homme libre jusqu’au jour de l’échéance, et que ce jour-là il reprendrait pleine possession de lui-même en remboursant la dette. Mais ce jour venu, si la dette n’était pas éteinte, le plébéien perdait le bénéfice de son contrat. Il tombait à la discrétion du créancier qui l’emmenait dans sa maison et en faisait son client et son serviteur. En tout cela le patricien ne croyait pas faire acte d’inhumanité ; l’idéal de la société étant à ses yeux le régime de la gens, il ne voyait rien de plus légitime et de plus beau que d’y ramener les hommes par quelque moyen que ce fût. Si son plan avait réussi, la plèbe eût en peu de temps disparu, et la cité romaine n’eût été que l’association des gentes patriciennes se partageant la foule des clients.

Mais cette clientèle était une chaîne dont le plébéien avait horreur. Il se débattait contre le patricien qui,

  1. Varron, L. L., VII, 105. Festus, vo nexum. Tite-Live, VIII, 28. Aulu-Gelle, XX, 1.