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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

craint. La race des hommes pieux a disparu ; on n’a plus souci des Immortels. »

Mais ces regrets sont inutiles, il le sait bien. S’il gémit ainsi, c’est par une sorte de devoir pieux, c’est parce qu’il a reçu des anciens « la tradition sainte, » et qu’il doit la perpétuer. Mais en vain : la tradition même va se flétrir ; les fils des nobles vont oublier leur noblesse ; bientôt on les verra tous s’unir par le mariage aux familles plébéiennes, « ils boiront à leurs fêtes et mangeront à leur table ; » ils adopteront bientôt leurs sentiments. Au temps de Théognis, le regret est tout ce qui reste à l’aristocratie grecque, et ce regret même va disparaître.

En effet, après Théognis, la noblesse ne fut plus qu’un souvenir. Les grandes familles continuèrent à garder pieusement le culte domestique et la mémoire des ancêtres ; mais ce fut tout. Il y eut encore des hommes qui s’amusèrent à compter leurs aïeux ; mais on riait de ces hommes. On garda l’usage d’inscrire sur quelques tombes que le mort était de noble race ; mais nulle tentative ne fut faite pour relever un régime à jamais tombé. Isocrate dit avec vérité que de son temps les grandes familles d’Athènes n’existaient plus que dans leurs tombeaux.

Ainsi la cité ancienne s’était transformée par degrés. À l’origine, elle était l’association d’une centaine de chefs de famille. Plus tard le nombre des citoyens s’accrut, parce que les branches cadettes obtinrent l’égalité. Plus tard encore, les clients affranchis, la plèbe, toute cette foule qui pendant des siècles était restée en dehors de l’association religieuse et politique, quelquefois même en dehors de l’enceinte sacrée de la ville, renversa les barrières qu’on lui opposait et pénétra dans la cité, où aussitôt elle fut maîtresse.