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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

un chef religieux. Le client plie sous cette autorité à la fois matérielle et morale qui le prend par son corps et par son âme. Il est vrai que cette religion impose des devoirs au patron, mais des devoirs dont il est le seul juge et pour lesquels il n’y a pas de sanction. Le client ne voit rien qui le protége ; il n’est pas citoyen par lui-même ; s’il veut paraître devant le tribunal de la cité, il faut que son patron le conduise et parle pour lui. Invoquera-t-il la loi ? Il n’en connaît pas les formules sacrées ; les connaîtrait-il, la première loi pour lui est de ne jamais témoigner ni parler contre son patron. Sans le patron nulle justice ; contre le patron nul recours.

Ce client n’existe pas seulement à Rome ; on le trouve chez les Sabins et les Étrusques, faisant partie de la manus de chaque chef. Il a existé dans l’ancien γένος hellénique aussi bien que dans la gens italienne. Il est vrai qu’il ne faut pas le chercher dans les cités doriennes, où le régime du γένος a disparu de bonne heure et où les vaincus sont attachés, non à la famille d’un maître, mais à un lot de terre. Nous le trouvons à Athènes et dans les cités ioniennes et éoliennes sous le nom de thète ou de pélate. Tant que dure le régime aristocratique, ce thète ne fait pas partie de la cité ; enfermé dans le γένος dont il ne peut sortir, il est sous la main d’un eupatride qui a en lui le même caractère et la même autorité que le patron romain.

On peut bien présumer que de bonne heure il y eut de la haine entre le patron et le client. On se figure sans peine ce qu’était l’existence dans cette famille où l’un avait tout pouvoir et l’autre n’avait aucun droit, où l’obéissance sans réserve et sans espoir était tout à côté de l’omnipotence sans frein, où le meilleur maître avait