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LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

compte ; car nous voyons dans l’historien que, lorsqu’on créa des tribuns, il fallut faire une loi spéciale pour protéger leur vie et leur liberté, et que cette loi était conçue ainsi : « Que nul ne s’avise de frapper ou de tuer un tribun comme il ferait à un homme de la plèbe[1]. » On avait donc le droit de frapper ou de tuer un plébéien, ou du moins ce méfait commis envers un homme qui était hors la loi, n’était pas puni.

Pour les plébéiens il n’y a pas de droits politiques. Ils ne sont pas d’abord citoyens et nul parmi eux ne peut être magistrat. Il n’y a d’autre assemblée à Rome, durant deux siècles, que celle des curies ; or les curies ne comprennent pas les plébéiens. La plèbe n’entre même pas dans la composition de l’armée, tant que celle-ci est distribuée par curies.

Mais ce qui sépare le plus manifestement le plébéien du patricien, c’est que le plébéien n’a pas la religion de la cité. Il est impossible qu’il soit revêtu d’un sacerdoce. On peut même croire que la prière, dans les premiers siècles, lui est interdite et que les rites ne peuvent pas lui être révélés. C’est comme dans l’Inde où « le çoudra doit ignorer toujours les formules sacrées. » Il est étranger et par conséquent sa seule présence souille le sacrifice. Il est repoussé des dieux. Il y a entre le patricien et lui toute la distance que la religion peut mettre entre deux hommes. La plèbe est une population méprisée et abjecte, hors de la religion, hors de la loi, hors de la société, hors de la famille. Le patricien ne peut comparer cette existence qu’à celle de la bête, more ferarum. Le contact du plébéien est impur. Les Décemvirs,

  1. Id., VI, 89.