Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
298
LIVRE IV. LES RÉVOLUTIONS.

trop d’influence dans les comices grâce aux suffrages de leurs clients[1].» On lit dans Denys d’Halicarnasse : « La plèbe sortit de Rome et se retira sur le mont Sacré ; les patriciens restèrent seuls dans la ville avec leurs clients. » Et plus loin : « La plèbe mécontente refusa de s’enrôler ; les patriciens prirent les armes avec leurs clients et firent la guerre[2]. » Cette plèbe, bien séparée des clients, ne faisait pas partie, du moins dans les premiers siècles, de ce qu’on appelait le peuple romain. Dans une vieille formule de prière, qui se répétait encore au temps des guerres puniques, on demandait aux dieux d’être propices « au peuple et à la plèbe.[3]. » La plèbe n’était donc pas comprise dans le peuple. Le peuple comprenait les patriciens et leurs clients ; la plèbe était en dehors.

Ce qui fait le caractère essentiel de la plèbe, c’est qu’elle est étrangère à l’organisation religieuse de la cité, et même à celle de la famille. On reconnaît à cela le plébéien et on le distingue du client. Le client partage au moins le culte de son patron et fait partie d’une famille, d’une gens. Le plébéien, à l’origine, n’a pas de culte et ne connaît pas la famille sainte.

Ce que nous avons vu plus haut de l’état social et religieux des anciens âges nous explique comment cette classe a pris naissance. La religion ne se propageait pas ; née dans une famille, elle y restait comme enfermée ; il fallait que chaque famille se fît sa croyance, ses dieux, son culte. Mais nous devons admettre qu’il y eut, dans ces temps si éloignés de nous, un grand nombre de familles où l’esprit n’eut pas la puissance de créer des

  1. Tite-Live, II, 64 ; II, 56.
  2. Denys, VI, 46 ; VII, 19 ; X, 27.
  3. Tite-Live, XXIX, 27. Cic., pro Mur., 1. Aulu-Gelle, X, 20.