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LIVRE III. LA CITÉ.

d’une victime. Signer un traité est une expression toute moderne ; les Latins disaient frapper un chevreau, icere hædus ou fœdus[1] ; le nom de la victime qui était le plus ordinairement employée à cet effet, est resté dans la langue usuelle pour désigner l’acte tout entier. Les Grecs s’exprimaient d’une manière analogue, ils disaient faire la libation, σπένδεσθαι. C’étaient toujours des prêtres qui, se conformant au rituel[2], accomplissaient la cérémonie du traité. On les appelait féciaux en Italie, spendophores ou porte-libation chez les Grecs.

Cette cérémonie religieuse donnait seule aux conventions internationales un caractère sacré et inviolable. Tout le monde connaît l’histoire des fourches caudines. Une armée entière, par l’organe de ses consuls, de ses questeurs, de ses tribuns et de ses centurions, avait fait une convention avec les Samnites. Mais il n’y avait pas eu de victime immolée. Aussi le Sénat se crut-il en droit de dire que la convention n’avait aucune valeur. En l’annulant, il ne vint à l’esprit d’aucun pontife, d’aucun patricien, que l’on commettait un acte de mauvaise foi.

C’était une opinion constante chez les anciens que chaque homme n’avait d’obligations qu’envers ses dieux particuliers. Il faut se rappeler ce mot d’un certain Grec dont la cité adorait le héros Alabandos ; il s’adressait à un homme d’une autre ville qui adorait Hercule : « Alabandos, disait-il, est un dieu et Hercule n’en est pas un[3]. » Avec de telles idées, il était nécessaire que dans un traité de paix chaque cité prît ses propres dieux à té-

  1. Festus, vis fœdum et fœdus.
  2. En Grèce, ils portaient une couronne. Xénophon, Hell., IV, 7. 3.
  3. Cic., De nat. Deor., III, 19.