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LIVRE III. LA CITÉ.

que nul ne l’admette aux prières ni aux sacrifices ; que nul ne lui présente l’eau lustrale[1]. » Toute maison était souillée par sa présence. L’homme qui l’accueillait devenait impur à son contact. « Celui qui aura mangé ou bu avec lui ou qui l’aura touché, disait la loi, devra se purifier. » Sous le coup de cette excommunication, l’exilé ne pouvait prendre part à aucune cérémonie religieuse ; il n’avait plus de culte, plus de repas sacrés, plus de prières ; il était déshérité de sa part de religion.

Il faut bien songer que, pour les anciens, Dieu n’était pas partout. S’ils avaient quelque vague idée d’une divinité de l’univers, ce n’était pas celle-là qu’ils considéraient comme leur Providence et qu’ils invoquaient. Les dieux de chaque homme étaient ceux qui habitaient sa maison, son canton, sa ville. L’exilé, en laissant sa patrie derrière lui, laissait aussi ses dieux. Il ne voyait plus nulle part de religion qui pût le consoler et le protéger ; il ne sentait plus de providence qui veillât sur lui ; le bonheur de prier lui était ôté. Tout ce qui pouvait satisfaire les besoins de son âme était éloigné de lui.

Or la religion était la source d’où découlaient les droits civils et politiques. L’exilé perdait donc tout cela en perdant la religion de la patrie. Exclu du culte de la cité, il se voyait enlever du même coup son culte domestique et il devait éteindre son foyer[2]. Il n’avait plus de droit de propriété ; sa terre et tous ses biens, comme s’il était mort, passaient à ses enfants, à moins qu’ils ne fussent confisqués au profit des dieux ou de l’État[3]. N’ayant plus de culte, il n’avait plus de famille ; il cessait d’être

  1. Sophocle, Édipe Roi, 239. Platon, Lois, IX, 881.
  2. Ovide, Tristes, I, 3, 43.
  3. Pindare, Pyth., IV, 517. Platon, Lois, IX, 877. Diodore, XIII, 49. Denys, XI, 46. Tite-Live, III, 58.