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LIVRE III. LA CITÉ.

antique était une religion, la loi un texte sacré, la justice un ensemble de rites. Le demandeur poursuit avec la loi, agit lege, διώκει. Par l’énoncé de la loi il saisit l’adversaire. Mais qu’il prenne garde ; pour avoir la loi pour soi, il faut en connaître les termes et les prononcer exactement. S’il dit un mot pour un autre, la loi n’existe plus et ne peut pas le défendre. Gaius raconte l’histoire d’un homme dont un voisin avait coupé les vignes ; le fait était constant ; il prononça la loi. Mais la loi disait arbres, il prononça vignes ; il perdit son procès.

L’énoncé de la loi ne suffisait pas. Il fallait encore un accompagnement de signes extérieur, qui étaient comme les rites de cette cérémonie religieuse qu’on appelait contrat ou qu’on appelait procédure en justice. C’est par cette raison que pour toute vente il fallait employer le morceau de cuivre et la balance ; que pour acheter un objet il fallait le toucher de la main, mancipatio ; que, si l’on se disputait une propriété, il y avait combat fictif, manuum consertio. De là les formes de l’affranchissement, celles de l’émancipation, celles de l’action en justice, et toute la pantomime de la procédure.

Comme la loi faisait partie de la religion, elle participait au caractère mystérieux de toute cette religion des cités. Les formules de la loi étaient tenues secrètes comme celles du culte. Elle était cachée à l’étranger, cachée même au plébéien. Ce n’est pas parce que les patriciens avaient calculé qu’ils puiseraient une grande force dans la possession exclusive des lois ; mais c’est que la loi, par son origine et sa nature, parut longtemps un mystère auquel on ne pouvait être initié qu’après l’avoir été préalablement au culte national et au culte domestique.