Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
CH. XI. LA LOI.

les anciens ont eu longtemps pour leurs lois. En elles ils ne voyaient pas une œuvre humaine. Elles avaient une origine sainte. Ce n’est pas un vain mot quand Platon dit qu’obéir aux lois c’est obéir aux dieux. Il ne fait qu’exprimer la pensée grecque lorsque, dans le Criton, il montre Socrate donnant sa vie parce que les lois la lui demandent. Avant Socrate, on avait écrit sur le rocher des Thermopyles : Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois. La loi chez les anciens fut toujours sainte ; au temps de la royauté elle était la reine des rois ; au temps des républiques elle fut la reine des peuples. Lui désobéir était un sacrilége.

En principe, la loi était immuable, puisqu’elle était divine. Il est à remarquer que jamais on n’abrogeait les lois. On pouvait bien en faire de nouvelles, mais les anciennes subsistaient toujours, quelque contradiction qu’il y eût entre elles. Le code de Dracon n’a pas été aboli par celui de Solon[1], ni les Lois Royales par les Douze-Tables. La pierre où la loi était gravée était inviolable ; tout au plus les moins scrupuleux se croyaient-ils permis de la retourner. Ce principe a été la cause principale de la grande confusion qui se remarque dans le droit ancien. Des lois opposées et de différentes époques s’y trouvaient réunies ; et toutes avaient droit au respect. On voit dans un plaidoyer d’Isée deux hommes se disputer un héritage ; chacun d’eux allègue une loi en sa faveur ; les deux lois sont absolument contraires et également sacrées. C’est ainsi que le Code de Manou garde l’ancienne loi qui établit le droit d’aînesse, et en écrit une autre à côté qui prescrit le partage égal entre les frères.

  1. Andocide, I, 82, 83 ; Démosth., in Everg., 71.

16