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CH. X. LE MAGISTRAT.

peuple ne votait que sur les noms qui étaient prononcés par le président[1]. Si le président ne nommait que deux candidats, le peuple votait pour eux nécessairement ; s’il en nommait trois, le peuple choisissait entre eux. Jamais l’assemblée n’avait le droit de porter ses suffrages sur d’autres hommes que ceux que le président avait désignés ; car pour ceux-là seulement les auspices avaient été favorables et l’assentiment des dieux était assuré.

Ce mode d’élection, qui fut scrupuleusement suivi dans les premiers siècles de la république, explique quelques traits de l’histoire romaine dont on est d’abord surpris. On voit, par exemple, assez souvent que le peuple veut presque unanimement porter deux hommes au consulat, et que pourtant il ne le peut pas ; c’est que le président n’a pas pris les auspices sur ces deux hommes, ou que les auspices ne se sont pas montrés favorables. Par contre, on voit plusieurs fois le peuple nommer consuls deux hommes qu’il déteste[2] ; c’est que le président n’a prononcé que deux noms. Il a bien fallu voter pour eux ; car le vote ne s’exprime pas par oui ou par non ; chaque suffrage doit porter deux noms propres, sans qu’il soit possible d’en écrire d’autres que ceux qui ont été désignés. Le peuple, à qui l’on présente des candidats qui lui sont odieux, peut bien marquer sa colère en se retirant sans voter ; il reste toujours dans l’enceinte assez de citoyens pour figurer un vote.

On voit par là quelle était la puissance du président des comices, et l’on ne s’étonne plus de l’expression consacrée, creat consules, qui s’appliquait non au peuple

  1. Denys, IV, 84 ; V, 19 ; V, 72 ; V, 77 ; VI, 49.
  2. Tite-Live, II, 42 ; II, 43.