Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
LIVRE I. ANTIQUES CROYANCES.

On peut voir dans les écrivains anciens combien l’homme était tourmenté par la crainte qu’après sa mort les rites ne fussent pas observés à son égard. C’était une source de poignantes inquiétudes. On craignait moins la mort que la privation de sépulture. C’est qu’il y allait du repos et du bonheur éternel. Nous ne devons pas être trop surpris de voir les Athéniens faire périr des généraux qui, après une victoire sur mer, avaient négligé d’enterrer les morts. Ces généraux, élèves des philosophes, distinguaient nettement l’âme du corps, et ne croyant pas que le sort de l’une fût attaché au sort de l’autre, il leur semblait qu’il importait assez peu à un cadavre de se décomposer dans la terre ou dans l’eau. Ils n’avaient donc pas bravé la tempête pour la vaine formalité de recueillir et d’ensevelir leurs morts. Mais la foule qui, même à Athènes, restait attachée aux vieilles croyances, accusa ses généraux d’impiété et les fit mourir. Par leur victoire ils avaient sauvé Athènes ; mais par leur négligence ils avaient perdu des milliers d’âmes. Les parents des morts, pensant au long supplice que ces âmes allaient souffrir, étaient venus au tribunal en vêtements de deuil et avaient réclamé vengeance.

Dans les cités anciennes la loi frappait les grands coupables d’un châtiment réputé terrible, la privation de sépulture. On punissait ainsi l’âme elle-même, et on lui infligeait un supplice presque éternel.

Il faut observer qu’il s’est établi chez les anciens une autre opinion sur le séjour des morts. Ils se sont figuré une région, souterraine aussi, mais infiniment plus vaste que le tombeau, où toutes les âmes, loin de leur corps, vivaient rassemblées, et où des peines et des récompenses étaient distribuées suivant la conduite que