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CH. VI. LES DIEUX DE LA CITÉ.

opinions venaient de la très-grande puissance que les antiques générations avaient attribuée à l’âme humaine après la mort. Tout homme qui avait rendu un grand service à la cité, depuis celui qui l’avait fondée jusqu’à celui qui lui avait donné une victoire ou avait amélioré ses lois, devenait un dieu pour cette cité. Il n’était même pas nécessaire d’avoir été un grand homme ou un bienfaiteur ; il suffisait d’avoir frappé vivement l’imagination de ses contemporains et de s’être rendu l’objet d’une tradition populaire, pour devenir un héros, c’est-à-dire, un mort puissant dont la protection fût à désirer et la colère à craindre. Les Thébains continuèrent pendant dix siècles à offrir des sacrifices à Étéocle et à Polynice[1]. Les habitants d’Acanthe rendaient un culte à un Perse qui était mort chez eux pendant l’expédition de Xerxès[2]. Hippolyte était vénéré comme dieu à Trézène[3]. Pyrrhus, fils d’Achille était un dieu à Delphes[4], uniquement parce qu’il y était mort et y était enterré. Crotone rendait un culte à un héros par le seul motif qu’il avait été de son vivant le plus bel homme de la ville[5]. Athènes adorait comme un de ses protecteurs Eurysthée, qui était pourtant un Argien ; mais Euripide nous explique la naissance de ce culte, quand il fait paraître sur la scène Eurysthée près de mourir et lui fait dire aux Athéniens : « Ensevelissez-moi dans l’Attique ; je vous serai propice, et dans le sein de la terre je serai pour votre pays un hôte protecteur[6]. » Toute la tragédie d’Édipe à Colone repose sur ces croyances : Athènes et Thèbes se disputent le corps d’un homme qui va mourir et qui va devenir un dieu.

  1. Pausanias, IX, 18.
  2. Hérodote, VII, 117.
  3. Diodore, IV, 62.
  4. Pausanias, X, 23. Pindare, Ném., 65 et suiv.
  5. Hérodote, V, 47.
  6. Euripide, Héracl., 1032.