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CH. V. LE CULTE DU FONDATEUR.

ses beautés l’ont rendu précieux pour tous les peuples et tous les siècles. On sait qu’Énée avait fondé Lavinium, d’où étaient issus les Albains et les Romains, et qu’il était par conséquent regardé comme le premier fondateur de Rome. Il s’était établi sur lui un ensemble de traditions et de souvenirs que l’on trouve déjà consignés dans les vers du vieux Nævius et dans les histoires de Caton l’ancien. Virgile s’empara de ce sujet et écrivit le poëme national de la cité romaine.

C’est l’arrivée d’Énée, ou plutôt c’est le transport des dieux de Troie en Italie qui est le sujet de l’Énéide. Le poëte chante cet homme qui traversa les mers pour aller fonder une ville et porter ses dieux dans le Latium,

dum conderet urbem
Inferretque Deos Latio.

Il ne faut pas juger l’Énéide avec nos idées modernes. On se plaint souvent de ne pas trouver dans Énée l’audace, l’élan, la passion. On se fatigue de cette épithète de pieux qui revient sans cesse. On s’étonne de voir ce guerrier consulter ses Pénates avec un soin si scrupuleux, invoquer à tout propos quelque divinité, lever les bras au ciel quand il s’agit de combattre, se laisser ballotter par les oracles à travers toutes les mers, et verser des larmes à la vue d’un danger. On ne manque guère non plus de lui reprocher sa froideur pour Didon et l’on est tenté de dire avec la malheureuse reine :

Nullis ille movetur
Fletibus, aut voces ullas tractabilis audit.

C’est qu’il ne s’agit pas ici d’un guerrier ou d’un héros de roman. Le poëte veut nous montrer un prêtre.