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LIVRE III. LA CITÉ.

mes pères, terra patrum, patria ; ici est ma patrie, car ici sont les mânes de ma famille.

La fosse où chacun avait ainsi jeté un peu de terre, s’appelait mundus ; or ce mot désignait, dans l’ancienne langue la région des mânes[1]. De cette même place, suivant la tradition, les âmes des morts s’échappaient trois fois par an, désireuses de revoir un moment la lumière. Ne voyons-nous pas encore dans cette tradition la véritable pensée de ces anciens hommes ? En déposant dans la fosse une motte de terre de leur ancienne patrie, ils avaient cru y enfermer aussi les âmes de leurs ancêtres. Ces âmes réunies-là devaient recevoir un culte perpétuel et veiller sur leurs descendants. Romulus à cette même place posa un autel et y alluma du feu. Ce fut le foyer de la cité[2].

Autour de ce foyer doit s’élever la ville, comme la maison s’élève autour du foyer domestique ; Romulus trace un sillon qui marque l’enceinte. Ici encore les moindres détails sont fixés par un rituel. Le fondateur doit se servir d’un soc de cuivre ; sa charrue est traînée par un taureau blanc et une vache blanche. Romulus, la tête voilée et sous le costume sacerdotal, tient lui-même le manche de la charrue et la dirige en chantant des prières. Ses compagnons marchent derrière lui en observant un silence religieux. À mesure que le soc soulève des mottes de terre, on les rejette soigneusement à l’intérieur de l’enceinte, pour qu’aucune parcelle de cette terre sacrée ne soit du côté de l’étranger[3].

  1. Festus, vo Mundus. Servius ad Æn., III, 134. Plutarque, ibid.
  2. Ovide, ibid. Le foyer fut déplacé plus tard. Lorsque les trois villes du Palatin, du Capitolin et du Quirinal s’unirent en une seule, le foyer ou temple de Vesta fut placé sur un terrain neutre entre les trois collines.
  3. Plutarque, Rom., 11. Ovide, Fast., 825-829. Varron, De ling. lat., V, 143. Festus, vo Primigenius ; vo Urvat. Virgile, V, 755.