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LIVRE III. LA CITÉ.

ter et lui rendre un culte public pour obtenir ses faveurs. C’est ce qui eut lieu pour la Déméter des Eumolpides, l’Athéné des Butades, l’Hercule des Potitii. Mais quand une famille consentit à partager ainsi son dieu, elle se réserva du moins le sacerdoce. On peut remarquer que la dignité de prêtre, pour chaque dieu, fut longtemps héréditaire et ne put pas sortir d’une certaine famille[1]. C’est le vestige d’un temps où le dieu lui-même était la propriété de cette famille, ne protégeait qu’elle et ne voulait être servi que par elle.

Il est donc vrai de dire que cette seconde religion fut d’abord à l’unisson de l’état social des hommes. Elle eut pour berceau chaque famille et resta longtemps enfermée dans cet étroit horizon. Mais elle se prêtait mieux que le culte des morts aux progrès futurs de l’association humaine. En effet les ancêtres, les héros, les mânes étaient des dieux qui, par leur essence même, ne pouvaient être adorés que par un très-petit nombre d’hommes et qui établissaient à perpétuité d’infranchissables lignes de démarcation entre les familles. La religion des dieux de la nature était un cadre plus large. Aucune loi rigoureuse ne s’opposait à ce que chacun de ces cultes se propageât ; il n’était pas dans la nature intime de ces dieux de n’être adorés que par une famille et de repousser l’étranger. Enfin les hommes devaient arriver insensiblement à s’apercevoir que le Jupiter d’une famille était, au fond, le même être ou la même conception que le Jupiter d’une autre ; ce qu’ils ne pouvaient jamais

  1. Hérodote, V, 64, 65 ; IX, 27. Pindare, Isthm., VII, 18. Xénophon, Hell., VI, 8. Platon, Lois, p. 759 ; Banquet, p. 40. Cic., De divin., I, 41. Tacite, Ann., II, 54. Plutarque, Thésée, 23. Strabon, IX, 421 ; XIV, 634. Callim., Hymne à Apoll., 84. Pausanias, I, 37 ; VI, 17 ; X, 1. Apollodore, III, 13. Harpocration, v. Εὐνίδαι. Bœckh, Corp. inscript., 1340.