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LIVRE III. LA CITÉ.

La petitesse de cette société primitive répondait bien à la petitesse de l’idée qu’on s’était faite de la divinité. Chaque famille avait ses dieux, et l’homme ne concevait et n’adorait que des divinités domestiques. Mais il ne devait pas se contenter longtemps de ces dieux si fort au-dessous de ce que son intelligence peut atteindre. S’il lui fallait encore beaucoup de siècles pour arriver à se représenter Dieu comme un être unique, incomparable, infini, du moins il devait se rapprocher insensiblement de cet idéal en agrandissant d’âge en âge sa conception et en reculant peu à peu l’horizon dont la ligne sépare pour lui l’Être divin des choses de la terre.

L’idée religieuse et la société humaine allaient donc grandir en même temps.

La religion domestique défendait à deux familles de se mêler et de se fondre ensemble. Mais il était possible que plusieurs familles, sans rien sacrifier de leur religion particulière, s’unissent du moins pour la célébration d’un autre culte qui leur fût commun. C’est ce qui arriva. Un certain nombre de familles formèrent un groupe, que la langue grecque appelait une phratrie, la langue latine une curie[1]. Existait-il entre les familles d’un même groupe un lien de naissance ? Il est impossible de l’affirmer. Ce qui est sûr, c’est que cette association nouvelle ne se fit pas sans un certain élargissement de l’idée religieuse. Au moment même où elles s’unissaient, ces familles conçurent une divinité supérieure à leurs divinités domestiques, qui leur était com-

  1. Hom., Iliade, II, 362. Démosth., in Macart. Isée, III, 37 ; VI, 10 ; IX, 33. Phratries à Thèbes, Pindare, Isthm., VII, 18, et Scholiaste. À la phratrie athénienne correspondait l’ὠβὴ des Spartiates. Phratrie et curie étaient deux termes que l’on traduisait l’un par l’autre : Denys d’Hal., II, 85 ; Dion Cassius, fr. 14.