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LIVRE II. LA FAMILLE.

chacune continue à vivre à part dans son tombeau, d’où l’étranger est exclu. Chaque famille a aussi sa propriété, c’est-à-dire sa part de terre qui lui est attachée inséparablement par sa religion ; ses dieux Termes gardent l’enceinte, et ses Mânes veillent sur elle. L’isolement de la propriété est tellement obligatoire que deux domaines ne peuvent pas confiner l’un à l’autre et doivent laisser entre eux une bande de terre qui soit neutre et qui reste inviolable. Enfin chaque famille a son chef, comme une nation aurait son roi. Elle a ses lois, qui sans doute ne sont pas écrites, mais que la croyance religieuse grave dans le cœur de chaque homme. Elle a sa justice intérieure au-dessus de laquelle il n’en est aucune autre à laquelle on puisse appeler. Tout ce dont l’homme a rigoureusement besoin pour sa vie matérielle ou pour sa vie morale, la famille le possède en soi. Il ne lui faut rien du dehors ; elle est un état organisé, une société qui se suffit.

Mais cette famille des anciens âges n’est pas réduite aux proportions de la famille moderne. Dans les grandes sociétés la famille se démembre et s’amoindrit ; mais en l’absence de toute autre société, elle s’étend, elle se développe, elle se ramifie sans se diviser. Plusieurs branches cadettes restent groupées autour d’une branche aînée, près du foyer unique et du tombeau commun.

Un autre élément encore entra dans la composition de cette famille antique. Le besoin réciproque que le pauvre a du riche et que le riche a du pauvre, fit des serviteurs. Mais dans cette sorte de régime patriarcal, serviteurs ou esclaves c’est tout un. On conçoit en effet que le principe d’un service libre, volontaire, pouvant cesser au gré du serviteur, ne peut guère s’accor-