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LIVRE II. LA FAMILLE.

ment. On lit dans les Lois de Manou : « Celui qui n’a pas d’enfant mâle, peut charger sa fille de lui donner un fils, qui devienne le sien et qui accomplisse en son honneur la cérémonie funèbre. » Pour cela, le père doit prévenir l’époux auquel il donne sa fille, en prononçant cette formule : « Je te donne, parée de bijoux, cette fille qui n’a pas de frère ; le fils qui en naîtra sera mon fils et célébrera mes obsèques[1]. » L’usage était le même à Athènes ; le père pouvait faire continuer sa descendance par sa fille, en la donnant à un mari avec cette condition spéciale. Le fils qui naissait d’un tel mariage était réputé fils du père de la femme ; il suivait son culte, assistait à ses actes religieux, et plus tard il entretenait son tombeau[2]. Dans le droit hindou cet enfant héritait de son grand-père comme s’il eût été son fils ; il en était exactement de même à Athènes. Lorsqu’un père avait marié sa fille unique de la façon que nous venons de dire, son héritier n’était ni sa fille ni son gendre, c’était le fils de la fille[3]. Dès que celui-ci avait atteint sa majorité, il prenait possession du patrimoine de son grand-père maternel, quoique son père et sa mère fussent encore vivants[4].

Ces singulières tolérances de la religion et de la loi confirment la règle que nous indiquions plus haut. La fille n’était pas apte à hériter. Mais par un adoucissement fort naturel de la rigueur de ce principe, la fille unique était considérée comme un intermédiaire par lequel la famille pouvait se continuer. Elle n’héritait pas ; mais le culte et l’héritage se transmettaient par elle.

  1. Lois de Manou, IX, 127, 136. Vasishta, XVII, 16.
  2. Isée, VII.
  3. On ne l’appelait pas petit-fils ; on lui donnait le nom particulier de θυγατριδοῦς.
  4. Isée, VIII, 31 ; X, 12. Démosth., in Steph., II, 20.