Page:Fustel de Coulanges - Histoire des institutions politiques de l'ancienne France 5 (1922).djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ples encore, même hors d’Europe, et à d’autres époques de l’histoire. Il s’est produit chez toutes les races. Il n’est ni romain ni germain; il appartient à la nature humaine.

Il s’est formé lentement, insensiblement, et c’est pourquoi aucune chronique n’en donne la date. Il est dérivé d’une foule de causes obscures, et c’est pourquoi aucun écrivain contemporain n’en dit la cause. Il a eu ses sources dans les faits les plus divers de l’existence très complexe des hommes durant cinq ou six siècles.

C’est cette existence tout entière, dans son détail et sa complexité, que nous devons étudier, si nous voulons savoir quand, comment, pourquoi le régime féodal s’est formé. Nous ne devons partir d’aucune idée préconçue, d’aucun parti pris qui soit ou romain ou germanique; nous devons observer les faits de chaque siècle jusqu’à ce que nous apercevions le régime féodal.

Il peut être utile, pour bien diriger notre recherche, de définir d’abord l’objet que nous cherchons. Ce n’est pas qu’une définition complète et exacte de la féodalité puisse être donnée avant la fin de notre étude; nous pouvons du moins en présenter ici une définition provisoire. Il y a trois traits qui caractérisent le régime féodal:

1o Dans ce régime, le sol est possédé de telle sorte que le possesseur n’en est pas véritablement propriétaire. Sa jouissance peut-être presque assurée; elle peut même être héréditaire; mais elle n’est jamais la pleine propriété. Quelques attributs de la propriété lui manquent toujours, tels que le droit de vendre ou le droit de léguer. D’ailleurs, cette jouissance est conditionnelle, c’est-à-dire soumise soit à des redevances, soit à des services, en un mot à des devoirs, et la négligence de ces devoirs entraine la perte de la possession.

2o Le sol est découpé en grands domaines, que l’on appelle des seigneuries. Sur chacun d’eux un seigneur règne, et tous les hommes du domaine lui obéissent. Ces hommes sont jugés par lui, au lieu de l’être par le roi ou par quelque autre autorité publique. Ils ne payent d’impôt et ne doivent