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souvenirs d’une actrice.

serrés les uns près des autres, l’on attendait avec plus de courage le coup qui devait vous frapper. On prenait son parti sur le peu de temps qui restait à vivre : c’était une abnégation complète de soi-même. L’on ne se disait point en se séparant : À bientôt, au revoir ; mais : A peut-être jamais, ou dans un meilleur monde.

Dans cet état si nouveau pour la société entière, on retrouvait encore des moments de gaieté, et cet esprit français qui ne nous abandonne jamais se montrait parfois, lorsqu’on était réunis entre amis qui couraient les mêmes dangers. On jouait au tribunal révolutionnaire, pour s’accoutumer à le voir sans trembler. Chez Talma l’on distribuait les rôles pour la répétition. C’était Bonhomme (un grand chien de Terre-Neuve) qui faisait le président ; grande injustice que l’on commettait en donnant un tel rôle à ce pauvre animal, car c’était bien la meilleure bête que j’aie jamais connue : enfin il s’en acquittait convenablement. Quand il fallait juger en dernier ressort, on lui pinçait l’oreille ou la queue pour le faire aboyer, ce qui voulait dire : « À la