Page:Furetiere - Dictionnaire, 1701, T1, A-B.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PREFACE

toûjours un avantage, que de rencontrer en son chemin plus de biens qu'on n'en cherchoit. Mais pour Mr. Furetiere, il ne s'est pas proposé les termes du beau langage, ou du stile à la mode, plus que les autres. Il ne les a fait entrer dans sa Compilation que comme des parties du tout qu'il avoit enfermé dans son dessein. De sorte que le langage commun n'est icy qu'en qualité d'accessoire. C'est dans les termes affectez aux Arts, aux Sciences, & aux professions, que consiste le principal. Outre cela, l'Auteur a declaré publiquement, qu'il ne pretendoit rien à la fonction speciale & essentielle de Messieurs de l'Academie ; Qu'il ne donnoit son Dictionaire que comme provisionnel, & le precurseur de celuy qui viendroit de leur part juger en souverain dans une entiere pureté tous les mots vieux & nouveaux, & interposer son autorité pour les faire valoir ; qu'il leur laissoit leur jurisdiction toute entiere, & qu'il ne pretendoit rien decider sur la langue.

Il est donc certain que l'Ouvrage de ces Messieurs est aussi necessaire que jamais, afin que sur le jugement d'un Corps muni de toute l'autorité qu'on peut raisonnablement souhaitter dans une telle cause, on ait lieu de croire qu'on parle & qu'on écrit bien. Nous faisons des voeux ardens pour l'heureuse naissance de cet Ouvrage, & nous luy souhaittons une meilleure destinée qu'au fameux Dictionaire de l'Academie della Crusca: c'est à dire, que s'il s'élevoit un nouveau Paul Beni qui eût la temerité de luitter tout seul contre l'Academie Françoise, nous souhaittons que le public le châtiât de son audace, & fist tellement éclater son indignation, que personne n'osast faire comme le Tomasini, qui attribuë l'honneur du triomphe à Paul Beni dans ce combat si inégal. Et quant à ceux qui ne cessent de faire des plaintes malignes sur la lenteur, on les renvoye à la réponse de Zeuxis, ce Peintre si renommé & si admirable. Je suis long-temps à faire un tableau, répondit-il à un autre qui se vantoit de sa promptitude, parce que je peins pour l'éternité.

La remarque qu'on a faite sur ce qui distingue le Dictionaire de l'Academie d'avec celuy-cy, fait juger que cette celebre Compagnie pouvant mieux examiner les choses aprés l'impression de ce livre, & aprés la mort de l'Auteur, aura l'equité de faire cesser ses poursuites contre un Ouvrage qui fait tant d'honneur à la langue Françoise, & où l'on peut apprendre si aisément tant de choses. Et bien loin qu'elle doive perseverer dans le premier esprit, sous pretexte que ses richesses auroient été répanduës dans le Dictionaire Universel, ce devroit être plûtôt une raison d'aimer ce livre : car plus il contiendroit de cette sorte de thresors, plus on s'aimeroit soy-même en l'aimant. D'ailleurs, il faut avoir assez de bonne opinion du public, pour attendre qu'il jugera que l'honneur qu'a eu Mr. Furetiere d'être long-temps membre de l'Academie, luy a fait acquerir les lumieres dont il a eu besoin dans sa vaste Compilation : & ainsi la gloire n'en reviendra-t-elle pas à l'Academie comme à la cause originale ? N'a t-on pas lieu de dire qu'elle est la cause ou immediate, ou mediate de toute la politesse du François, & qu'elle a rempli les esperances de son Fondateur le grand Cardinal de Richelieu, qui representa au Roy son Maître, que pour reparer la negligence de ceux qui auroient pû rendre la langue Françoise la plus parfaite des modernes, & pour la rendre en effet non seulement elegante, mais capable de traiter tous les Arts & toutes les Sciences, il n'étoit besoin que d'établir cette Academie ?

On ne disconvient pas, que l'Auteur en protestant qu'il respectoit l'Academie Françoise autant qu'il étoit possible, n'ait écrit contre quelques membres de ce Corps avec trop d'emportement, & que le chagrin de se voir frustré du fruit de tant de veilles, n'ait donné un trop grand essor à ces imperieuses passions,


que