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DE LA PREMIERE EDITION.

aujourd'huy que la langue Françoise. Ce sera un grand moyen à ce livre-cy de répandre sur plus de nations les lumieres qu'il contient, & d'acquitter cette langue auprés de ceux qui luy rendent tant d'honneur.

Au reste, c'est depuis long-temps qu'elle reçoit des honneurs particuliers. La Capitale de l'Empire Romain, & de l'Eglise Latine, où toutes les autres langues devroient se taire, quand le Latin parle ; Rome, dis-je, observe pourtant cette coûtume dans la publication du Jubilé, que deux Prêtres en lisent la Bulle, l'un en Latin, l'autre en François sur deux chaires differentes dans l'Eglise de S. Pierre du Vatican. Dans le siecle passé Charles-Quint d'ailleurs ennemy mortel de la France, aimoit si fort la langue Françoise, qu'il s'en servit pour haranguer les Estats du Pays-Bas le jour qu'il fit son abdication, & pour écrire les Memoires de sa vie. Ceux qui nous parlent de ses lectures, font principalement mention de Thucydide traduit en François, & de Philippe de Commines. Aprés cela il ne doit pas être surprenant, qu'Henry VIII. Roy d'Angleterre seût si bien le François, qu'il écrivoit ordinairement en cette langue à sa maîtresse Anne de Boulen. On peut bien inserer icy cette particularité concernant ces billets de galanterie, puis que la Bibliotheque du Vatican leur fait l'honneur de les garder parmy ses autres Manuscrits.

On ne croit pas se tromper, si l'on s'imagine que le Lecteur attend icy avec quelque sorte d'impatience, qu'on luy dise un mot touchant le Dictionaire de l'Academie Françoise. On va donc dire, qu'on ne pretend point faire de tort à l'Ouvrage de ce Corps Illustre, en publiant celuy-cy. Ce sont deux Dictionaires de different ordre. Celuy de l'Academie est destiné aux mêmes fins que l'Academie même. Or il est certain que ceux qui l'ont établie n'ont jamais eu d'autre but que de travailler à polir la langue Françoise, & principalement par rapport à des ouvrages d'esprit, tant en vers qu'en prose, à des pieces d'Eloquence, à l'Histoire, etc. & il n'y eut que des ennemis outrez du Cardinal de Richelieu, ou des gens tout-à-fait ridicules, qui s'imaginerent qu'il vouloit se preparer des pretextes pour imposer des taxes sur ceux qui n'observeroient pas les regles du beau langage, à la ruine infaillible des Procureurs, des Notaires, & autres suppôts de la Justice. Sur ce pied-là quel est le but du Dictionaire de l'Academie ? Quel est son caractere essentiel ? C'est de fixer les beaux esprits qui ont un Panegyrique à faire, une piece de Theatre, une Ode, une Traduction, une Histoire, un Traité de Morale, ou tels autres beaux livres ; c'est, dis-je, de les fixer, lors qu'ils ne savent pas bien si un mot est du bel usage, s'il est assez noble dans une telle circonstance, ou si une certaine expression n'a rien de defectueux. Pour se mieux convaincre de cette verité, il suffit de considerer, que ni les Remarques de Vaugelas puisées dans les Conferences de l'Academie, ni celles qui ont paru depuis la mort de Vaugelas sur le même plan, ne regardent que le beau stile, & nullement celuy qu'on appelle du Palais, ou celuy qu'on employe en parlant de Navigation, de Finance, de Commerce, d'Arts liberaux, ou mechaniques, & de telles autres choses. Et en effet, cette Illustre Compagnie peut bien enseigner à ceux qui veulent écrire sur ces matieres, comment il faut debarrasser une periode, & donner à son discours la netteté & la majesté convenables ; mais pour ce qui est des termes propres à chaque Art, pour ce qui est des phrases consacrées dans chaque matiere, c'est à l'Academie, c'est aux Parlemens, c'est même au Conseil d'Etat à les apprendre des Maîtres en chaque profession.

Voilà quelle est la difference specifique du Dictionaire de l'Academie. Tout ce qui ne se rapporte pas à ce but, n'y doit être consideré que comme un accessoire, dont les Lecteurs equitables ne laisseront pas de savoir bon gré; car c'est


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