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PREFACE.


& qu'on ne se doit pas borner en mettant ces sortes de Dictionaires entre les mains de tout le monde, à instruire chaque personne dans l'art de definir exactement. C'est un mal peu reel pour la societé civile, que d'ignorer la proprieté de plusieurs termes : mais il n'est point de profession où la justesse d'esprit ne soit d'un usage merveilleux ; & c'est une grande preparation pour l'acquerir, que de s'accoûtumer de bonne heure à parler des choses de son ressort selon les notions qu'un bon Dictionaire en fournit.

Quoy qu'il en soit, il y a quelque sorte de justice dans ce privilege de la langue Françoise, puis qu'on ne sauroit raisonnablement luy contester certaines perfections tres-avantageuses qui ne se trouvent point dans les autres langues. On pourroit peut-être s'exprimer plus fortement ; mais on aime mieux témoigner sa reconnoissance de l'honneur qui luy est fait dans les pays étrangers, que de faire trop de mention de sa beauté. On l'entend ou on la parle dans toutes les Cours de l'Europe ; & il n'est point rare d'y trouver des gens qui parlent François, & qui écrivent en François aussi purement que les François mêmes. Combien y a-t-il de villes, d'ailleurs tres-souvent en guerre avec la France, dans lesquelles non seulment tout ce qu'il y a de distingué dans l'un & dans l'autre sexe parle François, mais aussi plusieurs personnes parmy le peuple ? Veut-on qu'un libelle coure bien le monde ? aussi-tôt on le traduit en François, lors même que l'original en est Latin : tant il est vray que le Latin n'est pas si commun en Europe aujourd'huy que la langue Françoise. Ce sera un grand moyen à ce livre-cy de répandre sur plus de nations les lumieres qu'il contient, & d'acquitter cette langue auprés de ceux qui luy rendent tant d'honneur.

Au reste, c'est depuis long-temps qu'elle reçoit des honneurs particuliers. La Capitale de l'Empire Romain, & de l'Eglise Latine, où toutes les autres langues devroient se taire, quand le Latin parle ; Rome, dis-je, observe pourtant cette coûtume dans la publication du Jubilé, que deux Prêtres en lisent la Bulle, l'un en Latin, l'autre en François sur deux chaires differentes dans l'Eglise de S. Pierre du Vatican. Dans le siecle passé Charles-Quint d'ailleurs ennemy mortel de la France, aimoit si fort la langue Françoise, qu'il s'en servit pour haranguer les Estats du Pays-Bas le jour qu'il fit son abdication, & pour écrire les Memoires de sa vie. Ceux qui nous parlent de ses lectures, font principalement mention de Thucydide traduit en François, & de Philippe de Commines. Aprés cela il ne doit pas être surprenant, qu'Henry VIII. Roy d'Angleterre seût si bien le François, qu'il écrivoit or-


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