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(sans parler de rien à Lucrece, ny à son oncle, ny à sa tante), afin de ne perdre point de temps, former une opposition au mariage entre les mains des curez de Saint-Nicolas et de Saint-Severin. Et non content de cela, il obtint du lieutenant civil et de l’official des deffenses de passer outre, qu’il fit signifier aux mesmes curez et à Vollichon, car, quand à Nicodeme, il ne sçavoit où il demeuroit. Puis il vint tout en sueur, sur les trois heures apres midy, dire à Lucrece qu’il y avoit bien des nouvelles, qu’elle luy avoit bien de l’obligation, qu’il n’avoit ny bu ni mangé de tout le jour, qu’il avoit toujours couru pour son service. Et apres plusieurs autres prologues, il lui raconta la rencontre qu’il avoit faite de Vollichon et tous les exploits qu’il avoit fait depuis.

Lucrece fut fort surprise de ce recit, et il lui monta au visage une rougeur plus forte qu’aucune qu’elle eust jamais eue. Pour tout remerciment de la bonne volonté de ce procureur, elle luy dit qu’il la servoit vraiment avec beaucoup de chaleur, puisqu’il n’avoit pas mesme pris le temps d’en parler à son oncle ny à sa tante ; qu’en son particulier, elle n’avoit point dessein d’épouser Nicodeme, et encore moins par l’ordre de la justice. Ha, ha (dit alors le procureur ), il faut apprendre à cette jeunesse éventée à ne se moquer pas des filles d’honneur : nous avons sa signature, il faudra au moins qu’il paye des dommages et interests ; laissez-moi seulement faire. Et avec un « Nous nous verrons tantost plus amplement ; je n’ay ny bu ny mangé d’aujourd’huy », il enfila l’escalier, et tira la porte de la chambre apres luy ; il la ferma mesme à double tour