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vouloir arracher, elle fut obligée de la lascher de peur de la rompre. Il la lut exactement, et il luy dit qu’il connoissoit celuy qui l’avoit souscrite, qu’il avoit du bien ; il n’en fit point d’autre éloge, car il croyoit bien par ce mot avoir dit tout ce qui s’en pouvoit dire. Il luy demanda si la promesse estoit reciproque, et si elle en avoit donné une autre ; mais Lucrece, sans dire ny ouy, ny non, lui répondit tousjours en bouffonnant. Il luy recommanda serieusement de la bien garder, luy offrant de la servir en cette occasion et de faire une exacte enqueste du bien que Nicodeme pouvoit avoir.

À quelques jours de là il avint que, Villeflatin estant allé au Châtelet pour quelques affaires, y trouva Vollichon, pere de Javotte ; et comme il le connoissoit de longue main, Vollichon lui fit part de la joyeuse nouvelle du mariage prochain de sa fille. Villeflatin s’en rejouyt d’abord avec luy, disant qu’il faisoit fort bien de la marier ainsi jeune ; qu’une fille est de grande garde ; qu’un pere en est déchargé et n’est plus responsable de ses fredaines quand elle est entre les mains d’un mary, qui est obligé d’en avoir le soin. Qu’à la vérité sa petite Javotte estoit bien sage ; mais que le siecle estoit si corrompu, et la jeunesse si dépravée, qu’on ne faisoit non plus de scrupule de surprendre une pauvre innocente que de boire un verre d’eau. Et apres d’autres discours de cette nature que j’obmets à dessein, non pas faute de les sçavoir (car je les ay ouy dire mille fois), il luy demanda qui estoit celuy qu’il avoit choisi pour faire entrer en son alliance, et quand se feroit la solemnité du mariage. Vollichon luy répondit que les bans estoient desja jettez à Saint-Nicolas et à Saint-Severin, les parroisses des futurs espoux ; que les fian-