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ment dans une antichambre, luy apporta en effet une promesse de mariage qu’il luy mit en main. Elle la prit en continuant sa raillerie, et luy demanda seulement : La quantième est-ce d’aujourd’huy ? (Car c’estoit un homme sujet à de telles foiblesses.) En mesme temps, pour monstrer qu’elle n’en faisoit pas grand estat, elle s’en servit à envelopper une orange de Portugal qu’elle tenoit en sa main. Neantmoins elle ne laissa pas de la serrer proprement pour les besoins qu’elle en pourroit avoir, quand ce n’eust esté que pour faire voir un jour qu’elle avoit eu des amans.

Cela s’estoit passé auparavant que Nicodeme fust engagé avec Javotte. Quelque temps après, il arriva qu’un procureur de l’officialité, nommé Villeflatin, qui estoit amy et voisin de l’oncle de Lucrece, le vint voir et le trouva dans sa chambre au coin du feu. Par hasard, Lucrece estoit à fouiller dans un buffet qu’elle avoit dans la mesme chambre. Comme c’est la première cajolerie des vieillards de demander aux jeunes filles quand elles seront mariées, ce fut aussi le premier compliment de ce procureur. Hé bien ! lui dit-il, mademoiselle, quand est-ce que nous danserons à vostre nopce ! Je ne sçay pas quand ce sera, répondit Lucrece en riant ; au moins ce ne sera pas faute de serviteurs : voilà une promesse ; si j’en veux, il ne tient qu’à moy de l’accepter. Elle dit cela en monstrant un papier plié, qui estoit cette promesse qu’elle avoit trouvée fortuitement sous sa main, sur quoy neantmoins elle ne faisoit pas grand fondement, car elle mettoit toutes ses esperances en celle du marquis, dont elle n’avoit garde de faire alors mention. Le procureur, par curiosité, jetta la main dessus sans qu’elle y prist garde, et, faisant semblant de la