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qui passe pour un homme de condition à la faveur de son habit, puisque vous ne feriez qu’honorer la noblesse que vous croiriez estre en luy ; mais on en use de mesme envers ceux qui sont les mieux connus, et j’ay veu beaucoup de femmes qui n’estimoient les hommes que par le changement des habits, des plumes et des garnitures13. J’en ay veu qui, au sortir d’un bal ou d’une visite, ne s’entretenoient d’autre chose. L’une disoit : Monsieur le comte avoit une garniture de huit cent livres, je n’en ay point veu de plus riche ; l’autre : Monsieur le baron estoit vestu d’une estoffe que je n’avois point encore veue, et qui est tout à fait jolie ; une troisième disoit : Ce gros pifre14 de chevalier est tousjours vestu comme un gouverneur de Lyons ; il n’oseroit changer d’habits, il a peur qu’on le méconnoisse. Cependant, il est souvent arrivé que le gros pifre a battu la


13. On appeloit ainsi l’ensemble de plumes, de rubans, de nœuds, dont on chargeoit ses habits et sa coiffure. C’est ce que Mascarille appelle sa petite-oie. Il falloit, comme il dit, qu’elle fût « congruente à l’habit. » (Précieuses ridicules, sc. 10.)

14. Ce mot pifre, que nous avons si étrangement détourné de son sens, étoit depuis le XIIIe siècle employé comme terme de mépris. On n’appeloit pas autrement que pifres ou bougres certains hérétiques des Flandres et de la Bourgogne. (Valesiana, p. 81–82.) Fleury de Bellingen explique ainsi l’étymologie de ce mot : « On nomme ordinairement gros piffre un gros homme qui a les joues rebondies de graisse. Mot emprunté et corrompu de l’allemand pfeiffer, qui signifie un joueur de fiffre, et approprié à telles sortes d’hommes, parce qu’un joueur de fiffre se fait enfler les joues à force de souffler, en flûtant, comme ceux-ci les ont enflées à force de manger. » (L’Etymologie des Proverbes françois, La Haye, 1656, in-8., p. 3.)