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ny le loysir ny le moyen de songer à se parer. Ce n’est pas que je loüe ceux qui, par negligence ou par avarice, demeurent en un estat qui fait mal au cœur ou qui blesse la veuë. Car ce sont deux vices qu’il faut également blasmer. Mais combien y en a-t-il qui, quelque soin qu’ils prennent à s’ajuster et à cacher leur pauvreté, ne peuvent empescher qu’elle ne paroisse tousjours à quelque chapeau qui baisse l’oreille, quelque manteau pelé, quelque chausse rompuë, ou quelque autre playe dont il ne faut accuser que la fortune ?

Votre sentiment (dit Lucrece) est tres-raisonnable, et j’ay toujours fort combatu ces delicatesses ; mais encore ce seroit beaucoup s’il ne falloit qu’estre propre, qui est une qualité necessaire à un honneste homme ; il faut aussi avoir dans ses vestements de la diversité et de la magnificence : car on donne aujourd’huy presque partout aux hommes le rang selon leur habit ; on met celuy qui est vestu de soye au dessus de celuy qui n’est vestu que de camelot, et celui qui est vestu de camelot au dessus de celuy qui n’est vestu que de serge. Comme aussi on juge du mérite des hommes à proportion de la hauteur de la dentelle qui est à leur linge, et on les éleve par degrez depuis le pontignac jusqu’au poinct de Gennes. Il est vray qu’on en use ainsi, dit Hyppolite, et je trouve qu’on a raison. Car comment jugerez-vous d’un homme qui entre en une compagnie si ce n’est par l’extérieur ? S’il est richement vestu, on croit que c’est un homme de condition, qui a esté bien nourry et élevé, et qui, par consequent, a de meilleures qualitez. Vous auriez grande raison (reprit le marquis) si vous n’en usiez ainsi qu’envers les inconnus : car j’excuserois volontiers l’honneur qu’on fait à un faquin