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boutiques et dans les allées ne luy seront-ils contez pour rien ? Non (dit l’Hyppolite), tout cela n’importe ; que ne venoit-il en chaise ?

Vous ne demandez pas s’il avoit moyen de la payer (reprit le marquis) ; mais vous n’estes pas seule de vostre humeur, et je prevoy que, si le luxe et la delicatesse du siecle continuent, il faudra enfin que quelques grands seigneurs, à l’exemple de ceux qui ont fondé des chaises de théologie, de medecine et de mathematique, fondent des chaises de Sous-carriere11, pour faire porter proprement les illustres dans les ruelles et les metre en estat d’estre admis dans les belles conversations. Ce seroit, dit Lucrece, une belle fondation, et qui donneroit bien du lustre aux gens de lettres ; mais elle coûteroit beaucoup, car il y a bien des illustres pretendus. Il faudroit au moins les restreindre à ceux de l’Academie, et alors on ne trouveroit point estrange qu’on en briguast les places si fortement. Cette fondation, dit le marquis, ne se fera peut-estre pas sitost, et je la souhaite plus que je ne l’espere en faveur


11. On appeloit ainsi les chaises à porteur perfectionnées, sous Louis XIII, par Montbrun de Souscarrière, bâtard du duc de Bellegarde. Avant lui, celles dont, en 1617, P. Le Petit avoit eu le privilége n’étoient pas couvertes ; ce n’étoient que de simples fauteuils fixés à deux bâtons en forme de brancards. Dans un voyage qu’il fit à Londres, Montbrun vit des chaises couvertes et fermées, et à son retour il se hâta d’en faire établir de pareilles à Paris, pour lesquelles il obtint, lui aussi, un privilége, par lettres-patentes enregistrées en parlement. (Sauval, Antiq.de Paris, chap. Voitures, t. 1er, p. 192.) Montbrun le partageoit avec madame de Cavoye. Il mit tout en œuvre pour que ses chaises devinssent à la mode.