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d’un ruban, et, dans le guain, elle se faisoit donner de beaux bijoux et de bonnes nippes. Elle n’estoit vétuë que des bonnes fortunes du jeu ou de la sottise de ses amans. Le bas de soye qu’elle avoit aux jambes estoit une discretion ; sa cravatte de poinct de Gennes, autre discretion ; son collier et mesme sa juppe, encore autre discretion ; enfin, depuis les pieds jusqu’à la teste, ce n’estoit que discretion. Cependant elle joüa tant de fois des discretions, qu’elle perdit à la fin la sienne, comme vous entendrez cy-apres. Je vous en advertis de bonne heure, car je ne vous veux point surprendre, comme font certains autheurs malicieux qui ne visent à autre chose.

Entre tous ces amants dont la jeune ferveur adoroit Lucrece, se trouva un jeune marquis ; mais c’est peu de dire marquis, si on n’adjouste de quarante, de cinquante ou de soixante mille livres de rente : car il y en a tant d’inconnus et de la nouvelle fabrique, qu’on n’en fera plus de cas, s’ils ne font porter à leur marquisat le nom de leur revenu, comme fit autrefois celuy qui se faisoit nommer seigneur de dix-sept cens mille escus. On n’avoit pas compté avec celuy-cy, mais il faisoit grande dépense et changeoit tous les jours d’habits, de plumes, et de gar-


ainsi : « Mademoiselle, puisque la discrétion est une des principales parties d’un galant, je croy qu’en vous en envoyant douze, je vous paye bien libéralement ce que je vous dois. » Quelquefois il en coûtoit cher de jouer pareil enjeu : « On dit que, pour une discrétion, il (Gondran) donna une toilette de cinq cents écus, où tout est d’orfèvrerie, et on parle de pendants de 6000 livres. » (Tallemant, Historiettes, in-8., t. 4, p. 292.)