Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et il me souvient d’avoir oüy une greffiere du quartier qui disoit d’elle en enrageant : Il n’appartient qu’à ces advocates à faire les magnifiques.

Lucrece fut donc élevée en une maison conduitte de cette sorte, qui est un poste tres-dangereux pour une fille qui a quelques necessitez, et qui est obligée à souffrir toutes sortes de galans. Il auroit fallu que son cœur eût esté ferré à glace pour se bien tenir dans un chemin si glissant. Toute sa fortune estoit fondée sur les conquestes de ses yeux et de ses charmes, fondement fort fresle et fort delicat, et qui ne sert qu’à faire vieillir les filles ou à les faire marier à l’officialité. Elle portoit cependant un estat de fille de condition, quoy que, comme j’ay dit, elle eût peu de bien ou plûtost point du tout. Elle passoit pour un party qui avoit, disoit-on, quinze mil écus ; mais ils estoient assignez sur les broüillarts de la riviere de Loyre, qui sont des effects à la verité fort liquides, mais qui ne sont pas bien clairs. Sur cette fausse supposition, Lucrece ne laissoit pas de bastir de grandes esperances, et, quand on luy proposoit pour mary un advocat, elle disoit en secouant la teste : Fy, je n’ayme point cette bourgeoisie ! Elle pretendoit au moins d’avoir un auditeur des comptes ou un tresorier de France : car elle avoit trouvé que cela estoit deub à ses pretendus quinze mil escus, dans le tariffe des partis sortables.

Cette citation, Lecteur, vous surprend sans doute :


bouteilles des marchands et des procureurs. La Fontaine, dans sa fable du Testament expliqué par Esope, emploie ce mot dans ce sens-là ; plus tard il finit par signifier simplement guinguette. (Journ. de Barbier, t. 1er, p. 350.)