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rable, car Javotte ne sortoit jamais sans sa mere, qui la faisoit vivre avec une si grande retenue qu’elle ne la laissoit jamais parler à aucun homme, ny en public, ny à la maison. Sans cela cet abord n’eut pas esté fort difficile pour luy, car, comme Javotte estoit fille d’un procureur et Nicodème estoit advocat, ils estoient de ces conditions qui ont ensemble une grande affinité et sympathie, de sorte qu’elles souffrent une aussi prompte connoissance que celle d’une suivante avec un valet de chambre.

Dès que l’office fut dit et qu’il la pût joindre, il luy dit, comme une tres-fine galanterie : Mademoiselle, à ce que je puis juger, vous n’avez pu manquer de faire une heureuse queste, avec tant de mérite et tant de beauté. Hélas, Monsieur (repartit Javotte avec une grande ingenuité), vous m’excuserez ; je viens de la compter avec le pere sacristain : je n’ay fait que soixante et quatre livres cinq sous ; mademoiselle Henriette fit bien dernierement quatre-vingts dix livres ; il est vray qu’elle questa tout le long des prieres de quarante heures, et que c’estoit en un lieu où il y avoit un Paradis le plus beau qui se puisse jamais voir. Quand je parle du bon-heur de vostre queste (dit Nicodeme), je ne parle pas seulement des charitez que vous avez recueillies pour les pauvres ou pour l’église ; j’entens aussi parler du profit que vous avés fait pour vous. Ha ! Monsieur (reprit Javotte), je vous asseure que je n’y en ay point fait ; il n’y avoit pas un denier davantage que ce que je vous ay dit ; et puis croyez-vous que je voulusse ferrer la mule en cette occasion ? Ce seroit un gros peché d’y penser. Je n’entends pas (dit Nicodeme) parler ny d’or ny d’argent, mais je veux dire seule-