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vieux que j’aye jamais pû trouver. Quelque temps apres ce ridicule raisonnement, assez commun chez les ignorans, et la gageure acquittée, il minutta sa sortie ; et pour se vanger de son rival, il ne fut pas si-tost dehors qu’il demanda à un des procureurs de son siege comment il se falloit prendre à faire le procès à un sorcier. On luy dit qu’il falloit avoir premierement quelque denonciateur. He bien ! (dit-il aussi-tost) où demeurent ces gens-là ? envoyez-m’en querir un par mes sergens ? Cette ignorance fit faire alors un grand éclat de rire à ceux qui estoient présens ; sur quoy il adjousta en colere : Quoy ! ne sont-ce pas des gens créez en titre d’office ? je veux qu’ils fassent leur charge, ou je les interdiray sur le champ. La risée ayant redoublé, Belastre, en persistant, dit encore : Vous me prenez bien pour un ignorant, de croire qu’en France, où la police est si exacte, et où on chomme si peu d’officiers, on ne puisse pas trouver tous ceux qui sont nécessaires pour faire le procès à un sorcier. Mais il eut beau se mettre en colere, il ne put executer son dessein, et il fallut qu’il remist sa vengeance à une autre occasion.

Pour éviter désormais un pareil affront, et reparer celuy qu’il avoit receu, il se resolut, à quelque prix que ce fust, de faire des vers de luy-mesme. Depuis qu’il en eut une fois tasté, il ne crut pas qu’on se pust passer d’en faire ; et on peut bien dire que c’est une maladie semblable à la gravelle ou à la goutte : dès qu’on en a senty une atteinte, on s’en sent toute sa vie. Il estoit fort en peine de sçavoir avec quoy on les faisoit, et apres avoir feuilleté quelques livres, le hasard le fit tomber sur certain endroit où un poëte s’estonnoit de ce qu’il faisoit si bien des vers, veu qu’il n’avoit pas beu