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mon imitation ; car je ne feray point d’abord une invocation des muses, comme font tous les poëtes au commencement de leurs ouvrages, ce qu’ils tiennent si necessaire, qu’ils n’osent entreprendre le moindre poëme sans leur faire une priere, qui n’est gueres souvent exaucée. Je ne veux point faire aussi de fictions poëtiques, ny écorcher l’anguille par la queue, c’est à dire commencer mon histoire par la fin, comme font tous ces messieurs, qui croyent avoir bien r’affiné pour trouver le merveilleux et le surprenant quand ils font de cette sorte le recit de quelque avanture. C’est ce qui leur fait faire le plus souvent un long galimathias, qui dure jusqu’à ce que quelque charitable escuyer ou confidente viennent éclaircir le lecteur des choses precedentes qu’il faut qu’il sçache, ou qu’il suppose, pour l’intelligence de l’histoire.

Au lieu de vous tromper par ces vaines subtilitez, je vous raconteray sincerement et avec fidelité plusieurs historiettes ou galanteries arrivées entre des personnes qui ne seront ny heros ny heroïnes, qui ne dresseront point d’armées, ny ne renverseront point de royaumes, mais qui seront de ces bonnes gens de mediocre condition, qui vont tout doucement leur grand chemin, dont les uns seront beaux et les autres laids, les uns sages et les autres sots ; et ceux-cy ont bien la mine de composer le plus grand nombre. Cela n’empeschera pas que quelques gens de la plus haute vollée ne s’y puissent reconnoître, et ne profitent de l’exemple de plusieurs ridicules dont ils pensent estre fort éloignez. Pour éviter encore davantage le chemin battu des autres, je veux que la scène de mon roman soit mobile, c’est à dire tantost en un quartier et tantost en un autre de la