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comme ces idoles qui ne rendoient point d’oracles toutes seules. Il y avoit un advocat qui montoit au siege auprès de luy, pour luy servir de conseil ou de truchemant, qui luy souffloit100 mot à mot tout ce qu’il avoit à prononcer ; mais ce secours ne luy dura gueres, car les parties interessées à l’honneur de la justice eurent d’abord cet avantage, qu’ils firent deffendre à ce sifleur de monter au siege avec luy, afin que, son ignorance estant plus connuë, il peût estre plus facilement dépossedé. Le sifleur fut donc obligé de se retirer au barreau, d’où il luy faisoit quelques signes dont ils estoient convenus pour les prononciations les plus communes ; mais il s’y trompoit quelquefois lourdement. L’extention de l’index estoit le signe qu’ils avoient pris pour signifier un appointement en droit. Un jour qu’il estoit question d’en prononcer un, le truchemant luy monstra le doigt, mais un peu courbé ; le juge crut qu’il y avoit quelque chose à changer en la prononciation, et appointa les parties en tortu. Ce n’est pas le seul jugement tortu qu’il ait donné. Comme il n’en sçavoit point d’autre par cœur que : deffaut et soit reassigné, il se trouva qu’un jour en le prononçant un procureur comparut pour la partie ; il ne laissa pas d’insister à sa prononciation, di-


100. Si l’on avoit pu croire que le souffleur donné à Petit-Jean, fait avocat, au troisième acte des Plaideurs, étoit une invention de Racine, ce passage de Furetière seroit une preuve qu’on se trompoit, et que cette industrie existoit réellement au XVIIe siècle. Ceux qui l’exerçoient étoient en même temps ce que nous appellerions des répétiteurs, ils enseignoient le droit en chambre ; mais, le plus fort de leur métier étant de souffler les avocats, on les appeloit souffleurs. (V. à ce mot le Dict. de Trévoux.)