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aucune connoissance des affaires. Il se servoit encore des termes de la guerre pour s’expliquer dans la robbe, et quand il vouloit se faire payer de ses vacations ou de ses espices, il disoit ordinairement : Payez-moy ma solde. Il avoit peut-estre appris ce qui se raconte d’un gentilhomme de fortune, qui, sans avoir esté à la guerre, tout d’un coup fut fait general d’armée, et qui chercha aussi-tost un maistre de fortifications pour luy apprendre (disoit-il) l’art militaire de la guerre, à quatre pistoles par mois. Celuy-cy en fit chercher un pour luy apprendre le mestier de juge, à la charge qu’on luy en viendroit faire des leçons chez luy. Il s’imaginoit que cela s’apprenoit comme la science d’un escrimeur ; et il adjoustoit que, puisqu’il avoit bien esté à l’armée sans avoir esté à l’académie, il pourroit bien aussi estre juge sans avoir esté jamais au collége. Il se targuoit quelquefois de l’exemple d’un boucher de Lyon qui avoit acheté un office d’esleu96 ; le gouverneur de


96. L’élu étoit un conseiller d’élection, sorte de juridiction chargée de répartir l’impôt, d’avoir raison des contribuables, etc., et qui d’abord, son nom l’indique, n’avoit que des charges données par élection. Avec le temps on en arriva à les vendre, comme on le voit ici. C’étoient des emplois très subalternes, ce passage le prouve aussi, et Dorine, dans Tartufe (act. 1er, sc. 5), mettant sur la même ligne

Madame la Baillive et madame l’Elue

ne fait pas grand honneur à la première. Les ancêtres de Cinq-Mars avoient tenu ce mince emploi ; aussi, quand, au grand étonnement de tous, le maréchal d’Effiat fut fait chevalier de l’ordre, Bassompierre dit : « Je ne sais pas s’il a été nommé, mais je sais qu’il a été élu. » (Tallemant, Hist., in-8, t. 3, p. 16.) — Dans les Bourgeoises de qualité, de Dancourt, Mme l’Elue joue l’un des principaux rôles.