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que les parties avoient fait de part et d’autre furent à chacune pour son compte.

Or, lecteur, vous devez sçavoir qu’il estoit escrit dans les livres des Destinées, ou du moins dans la teste opiniastre de Collantine, qui ne changeoit guère moins ; qu’elle ne seroit jamais mariée à personne qu’il ne l’eust vaincuë en procès, de mesme qu’autrefois Atalante ne vouloit se donner à aucun amant qu’il ne l’eust vaincuë à la course. De sorte que cet heureux succès de Charroselles luy servit au lieu de luy nuire ; et quoy qu’en effet il ne l’eust pas surmontée entierement, du moins il luy avoit fait perdre ses avantages, comme il arrivoit en ces anciens combats de chevaliers qui se terminoient après un témoignage reciproque de valeur, sans la deffaite entière de leur ennemy. De manière qu’on ne vit point icy arriver ce qui suit ordinairement les procès, car cela ne servit qu’à les réjoindre plus estroitement, et à leur donner une estime reciproque l’un pour l’autre. Sur tout Collantine, qui se croyoit invincible en ce genre de combat, admiroit le heros qui luy avoit tenu teste, et commença de le trouver digne d’elle. Mais voicy cependant un rival, ou plustost un autre plaideur qui se jette à la traverse.

Je ne sçaurois obmettre la description d’une personne si extraordinaire. C’estoit un homme qui, par les ressorts de la Providence inconnus aux hommes, avoit obtenu une charge importante de judicature. Et pour vous faire connoistre sa capacité, sçachez qu’il estoit né en Perigort, cadet d’une maison qui estoit noble, à ce qu’il disoit, mais qui pouvoit bien estre appellée une noblesse de paille, puisqu’elle estoit renfermée sous une chaumiere. La pauvreté plustost que le cou-