sentir son fardeau que la veuë d’un autre homme qui auroit une pareille incommodité. C’est ainsi que l’histoire fabuleuse de Lucrece, que tu verras dans ce livre, a guery, à ce qu’on m’a asseuré, une fille fort considerable de la ville de l’amour qu’elle avoit pour un marquis, dont la conclusion, selon toutes les apparences, eust esté semblable. Voilà comment, Lecteur, je te donne des drogues éprouvées. Toute la grâce que je te demande, c’est qu’après t’avoir bien adverty qu’il n’y a rien que de fabuleux dans ce livre, tu n’ailles point rechercher vainement quelle est la personne dont tu croiras reconnoistre le portrait ou l’histoire, pour l’appliquer à monsieur un tel ou à mademoiselle une telle, sous prétexte que tu y trouveras un nom approchant ou quelque caractère semblable. Je sçais bien que le premier soin que tu auras en lisant ce roman, ce sera d’en chercher la clef ; mais elle ne te servira de rien, car la serrure est mêlée. Si tu crois voir le portrait de l’un, tu trouveras les adventures de l’autre : il n’y a point de peintre qui, en faisant un tableau avec le seul secours de son imagination, n’y fasse des visages qui auront de l’air de quelqu’un que nous connoissons, quoy qu’il n’ait eu dessein que de peindre des heros fabuleux. Ainsi, quand tu appercevrois dans ces personnages dépeints quelques caracteres de quelqu’un de la connoissance, ne fay point un jugement temeraire pour dire que ce soit luy ; prends plustost garde que, comme il y a icy les portraits de plusieurs sortes de sots, tu n’y rencontres le tien : car il n’y a presque personne qui ait le privilege d’en estre exempt, et qui n’y puisse remarquer quelque trait de son visage, moralement parlant. Tu diras
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