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du, parce que les libraires ne voudroient pas imprimer cet ouvrage, comme beaucoup d’autres qu’ils luy avoient rebutez. C’est pourquoy il resolut, pour ne plus travailler inutilement, de sonder à l’advenir leur volonté devant que de commencer un ouvrage. En cela il vouloit imiter ce qu’avoient fait autrefois la Serre et autres autheurs gagistes des libraires, qui mangeoient leur bled en herbe, c’est à dire qui traitoient avec eux d’un livre dont ils n’avoient fait que le titre. Ils s’en faisoient advancer le prix87, puis ils l’alloient manger dans un cabaret88, et là ils le composoient au courant de la plume. Encore arrivoit-il souvent que les librai-


87. G. Gueret, dans son Parnasse réformé, Paris, 1671, in-12, p. 43–44, fait ainsi parler ce même La Serre : « Y a-t-il d’autre marque de la bonté d’un ouvrage que le profit qu’en tire l’auteur ? Pourvu qu’il soit payé de son patron et du libraire aussi avantageusement que je l’ay toujours été, n’est-ce pas une hérésie que de douter de son mérite ?… J’ay mieux aimé que mes ouvrages me fissent vivre que de faire vivre mes ouvrages… Je n’ai cherché que l’expédition. J’ay laissé aux autres le soin de bien écrire, et je n’ay pris pour moi que celuy d’écrire beaucoup. »

88. La Serre s’acquoquina si bien au cabaret qu’il finit par y prendre femme. « Il épousa… (en 1648), dit Tallemant, une jolie personne, fille d’un cabaretier d’Auxerre. Ils s’attraperent l’un l’autre. » (Historiettes, 1re édit., t. 5, p. 28.) — Si le projet de libre échange émis par Hortensius, au liv. 11 de Francion, eût été exécuté, les poëtes de ce temps-là y eussent bien trouvé leur compte : « Qui n’aura pas d’argent, porte une stance au tavernier, il aura demy-septier ; chopine pour un sonnet, pinte pour une ode, etc. ; — quarte pour un poëme et ainsi des autres pièces. » (La vraye histoire comique de Francion, etc, par M. De Moulinet (Sorel), Rouen,