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d’ailleurs fort œconome, leur fit faire un tres-mauvais repas, et qui se pouvoit bien appeler gouster, en prenant ce mot dans sa plus estroite signification.

Le pis fut quand ce vint à conter. Charroselles contestoit avec l’hoste sur chaque article, et faisoit assez grand bruit, lorsque Collantine y accourut, disant qu’elle vouloit estre receuë partie intervenante en ce procès. Elle prit elle-mesme les jettons, chicana sur chaque article, et rogna mesme de ceux qui avoient esté desja alloüez. Sur tout elle ne vouloit pas qu’on payast le pain qu’à raison de dix sols la douzaine, asseurant que l’hoste l’avoit à ce prix du boulanger, et que c’estoit assez pour luy d’y gagner le treizième. Cependant, l’hoste estant ferme à son mot, elle voulut envoyer querir un officier de justice pour consigner entre ses mains le prix de l’escot, et s’opposer à la délivrance des deniers, avec assignation pour en voir faire la taxe. Elle disoit hautement que ce n’estoit pas pour la somme, mais qu’il ne falloit pas accoustumer ces rançonneurs de gens à leur donner tout ce qu’ils demandoient ; excuse ordinaire des avares, qui protestent tousjours de ne pas contester pour la consequence de l’argent, mais qui neantmoins ne contesteroient point s’il n’en falloit point donner. Enfin la liberalité forcée de Charroselles les tira de cet embarras, au grand regret de Collantine d’avoir manqué une occasion d’avoir un procès, asseurant tout haut que, si c’eust esté son affaire, l’hoste en eust esté mauvais marchand ; qu’il luy en eust cousté bon ; et elle se consola neantmoins, sur la menace qu’elle luy fit d’y envoyer un commissaire, pour le faire condamner à l’amende à la police.