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n’entendoit point le latin : car elle ne croyoit pas, en effet, qu’il y eust d’autres epistres que celles qui se lisent devant l’Evangile. Charroselles, pour s’expliquer mieux, luy dit que c’estoit une lettre. Quant aux lettres (luy répondit Collantine), j’en ai de toutes les façons, et je vous en veux monstrer en forme de requeste civile obtenues contre treize arrests tous contradictoires. Quand il vid qu’il estoit impossible qu’il fust escouté, il tira un livret imprimé de sa poche, contenant une petite nouvelle75, qu’il lui donna, à la charge qu’elle la liroit le soir. Elle ne parut point ingrate, et aussi-tost elle luy donna un gros factum à pareille condition. Enfin, je ne sçay si ce fut encore la nuit ou quelque autre interruption qui les separa ; tant y a qu’ils se quitterent fort satisfaits, comme je crois, de s’estre fait enrager l’un l’autre.

Comme il ne manquoit à Charroselles aucune de toutes les mauvaises qualitez, il avoit sans doute beaucoup d’opiniastreté. Il s’opiniastra donc à vouloir faire entendre à Collantine quelqu’un de ses ouvrages, et s’estant trouvé malheureux cette journée, il voulut joüer d’un stratageme. Il s’advisa donc un jour de la prendre à l’impourveu pour la mener à la promenade hors la Ville, raisonnant ainsi en luy-mesme que, quand il lui liroit quelqu’une de ses pieces, elle ne pourroit pas l’interrompre pour luy faire voir d’autres papiers, parce qu’elle ne les auroit pas alors sous sa main. Mais helas ! que les raisonnemens des hommes sont foibles


indûment le titre d’écuyer. (V. son Histoire, par Walekenaër, 1re édit., p. 341.) Boileau fut aussi poursuivi, mais il gagna son procès. (Lettre à Brossette, 9 mai 1699.)

75. On a de Ch. Sorel des Nouvelles françoises, 1683, in-8º.