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Pour les donneurs de factums (reprit Lambertin), je leur pardonnerois plus volontiers ; car, comme ils contiennent une instruction de l’affaire, cela peut estre utile à quelque chose ; mais le malheur est que ces messieurs en reçoivent tant que, s’ils vouloient les lire tous, il faudroit qu’ils ne fissent autre chose toute leur vie ; de sorte que leur destin le plus ordinaire est d’accompagner les placets à la garderobbe. En cela (dit Charroselles) consiste quelquefois leur fortune ; car, s’il arrive que Monsieur ait le ventre dur, il peut s’amuser à les lire pendant qu’il est en travail, et je tiens que, de mesme qu’un amant seroit ravi de sçavoir l’heure du berger, aussi un plaideur seroit heureux s’il sçavoit l’heure du constipé. Il faut confesser (reprit Lambertin) que tous ceux qui cherchent les voyes d’instruire leurs juges, par quelque façon que ce soit, sont excusables ; mais les autres ne le sont pas qui vont importuner une personne estrangere d’un recit long et fascheux d’un procès où ils n’ont aucun interest. Et il arrive qu’à la fin l’auditeur n’y peut rien comprendre, non seulement parce que souvent l’affaire est trop embroüillée, mais aussi parce que le plaideur en taist beaucoup de circonstances necessaires pour la faire entendre ; et comme il en a l’idée remplie, il croit que les autres en sont


qui étoit un fameux arracheur de dents, et qui en remettoit d’autres en leur place, avoit fait mettre à côté de son portrait, exposé en vue sur la fenêtre de sa chambre qui regarde le cheval de bronze, le mot de Virgile sur le rameau d’or du 6e livre de l’Énéide,

Uno avulso, non deficit alter,

et l’application est heureuse. »