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Là dessus Charroselles luy voulut dire adieu, mais elle le suivit en le costoyant ; et en luy nommant un nouveau conseiller, elle luy demanda la mesme grace qu’il lui avoit faite auparavant. Pour celuy-cy (luy dit-il), c’est un homme qui passe pour galant ; il est fort civil au sexe, et vous estes asseurée d’une favorable audiance, si vous l’allez voir avec quelque personne qui soit bien faite. Ha (reprit-elle) ! je sçay une demoiselle suivante qu’on avoit prise dernierement pour quester à nostre parroisse à cause de sa beauté. Je la prieray de m’y mener, et je ne crois pas qu’elle me refuse, car elle a tenu ces jours-cy un enfant sur les fonds avec le clerc d’un procureur qui occupe pour moy en quelques instances. Charroselles luy dit un second adieu ; mais elle l’arresta encore en lui disant : Je ne vous veux plus nommer que celuy-cy ; dites-moi si vous ne connoissez point quelques uns de ses amis. J’en connois quantité qui le sont beaucoup (luy dit-il). Hé ! de grace, comment s’appellent ils (lui répondit-elle avec une grande émotion) ? Ils s’appellent Loüis (répliqua-t-il). On dit que quand ils vont en compagnie le prier de quelque chose, ils l’obtiennent aisément. Vous estes un rieur (repartit nostre importune) ; je ne voudrois pas trop me fier à ce qu’on en dit : on fait beaucoup de médisance sans fondement, et il n’y a point de si bon juge que la partie qui a perdu sa cause n’accuse d’avoir esté corrompu par argent ou par amis ; cependant cela n’est presque jamais vray.

Cette raillerie servit utilement Charroselles, car il ne se fust jamais autrement sauvé des mains et des questions de cette fille. Ils se separerent enfin, non sans protestation de se revoir, et ils s’en allerent chacun de