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mauvaise fortune, et pour seconde cause de son chagrin elle avoit la bonne fortune des autres ; car tout son plaisir n’estoit qu’à troubler le repos d’autruy, et elle avoit moins de joye du bien qui luy arrivoit que du mal qu’elle faisoit. Sa taille menuë et déchargée luy donnoit une grande facilité de marcher, dont elle avoit bon besoin pour ses solicitations, car elle faisoit tous les jours autant de chemin qu’un semonneur d’enterremens68. Sa diligence et son activité estoient merveilleuses : elle estoit plus matinale que l’aurore, et ne craignoit non plus de marcher de nuit que le loup-garou. Son adresse à cajoller des clercs et à courtiser les maistres estoit aussi extraordinaire, aussi bien que sa patience à souffrir leurs rebuffades et leurs mauvaises humeurs ; toutes qualitez necessaires à perfectionner une personne qui veut faire le mestier de plaider. Je ne puis me tenir de raconter quelques traits de sa jeunesse, qui donnerent de belles esperances de ce qu’elle a esté depuis. Sa mere, pendant sa grossesse, songea qu’elle accouchoit d’une harpie, et mesme il parut sur son visage qu’elle tenoit quelque chose d’un


68. Celui qui annonçoit les morts et qui portoit les billets d’enterrement. Le mot semonneur vient du vieux verbe semondre, signifiant avertir, inviter, qu’on trouve encore employé dans l’Étourdi (act. 2, sc. 6), mais qui, selon Regnier Desmarais, n’étoit plus d’usage de son temps qu’à l’infinitif (Grammaire, etc., Paris, 1706, p. 479). — Le semonneur d’enterrements s’appeloit aussi crieur de corps morts (Tallem., Histor., in-8º, t. 4, p. 345). C’est d’un de ces hommes et de leurs attributions funèbres que parle la Lisette du Légataire (act. 4, sc. 8), quand elle dit :

. . . . . . . . . Le crieur a voulu malgré moi
Faire entrer avec lui l’attirail d’un convoi.