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mais il n’y eut un homme plus medisant ny plus envieux ; il ne trouvoit rien de bien fait à sa fantaisie. S’il eut esté du conseil de la creation, nous n’aurions rien veu de tout ce que nous voyons à present. C’estoit le plus grand reformateur en pis qui ait jamais esté, et il corrigeoit toutes les choses bonnes pour les mettre mal. Il n’a point veu d’assemblée de gens illustres qu’il n’ait tâché de la decrier ; encore, pour mieux cacher son venin, il faisoit semblant d’en faire l’eloge, lors qu’il en faisoit en effet la censure, et il ressembloit à ces bestes dangereuses qui en pensant flatter égratignent : car il ne pouvoit souffrir la gloire des autres, et autant de choses qu’on mettoit au jour, c’estoient autant de tourmens qu’on luy preparoit. Je laisse à penser si en France, où il y a tant de beaux esprits, il estoit cruellement bourrelé. Sa vanité naturelle s’estoit accruë par quelque reputation qu’il avoit euë en jeunesse, à cause de quelques petits ouvrages qui avoient eu quelque debit. Ce fut là un grand malheur pour les libraires ; il y en eut plusieurs qui furent pris à ce piege, car, apres qu’il eut quitté le stile qui estoit selon son genie pour faire des ecrits plus serieux, il fit plusieurs volumes65 qui n’ont jamais esté leus que par son correcteur d’imprimerie. Ils ont esté si funestes aux libraires qui s’en sont chargez, qu’il a des-ja ruiné le Palais et la ruë S. Jacques, et, poussant plus haut son ambition, il pretend encore ruiner le Puits-Certain66. Il donne à tout


65. « Ce M. Sorel a fait beaucoup de livres françois, et, entre autres, Francion, le Berger extravagant, l’Ophir de Chrysanthe, l’Histoire de France, et une Philosophie universelle. » (Gui Patin.)

66. C’est ainsi qu’on désignoit le quartier des libraires grou-