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mort procureur63. Il s’estoit advisé de se piquer de noblesse dès qu’il avoit eu le moyen d’atteller deux haridelles à une espece de carrosse tousjours poudreux et crotté. Ces deux Pegases (tel fut leur nom pendant qu’ils servirent à un nourriçon du Parnasse) ne s’estoient point enorgueillis, et n’avoient la teste plus haute ny la démarche plus fiere que lors qu’ils labouroient les pleines fertiles d’Aubervilliers. Leur maistre les traittoit aussi delicatement que des enfans de bonne maison. Jamais il ne leur fit endurer le serain ny ne leur donna trop de charge ; il eust presque voulu en faire des Bucephales, pour ne porter ou du moins ne traisner que leur Alexandre. Car il estoit tousjours seul dans son carosse ; ce n’est pas qu’il n’aimast beaucoup la compagnie, mais son nez demandoit à estre solitaire64, et on le laissoit volontiers faire bande à part. Quelque hardy que fust un homme à lui dire des injures, il n’osoit jamais les lui dire à son nez, tant ce nez estoit vindicatif et prompt à payer. Cependant il fouroit son nez par tout, et il n’y avoit gueres d’endroits dans Paris où il ne fust connu. Ce nez, qu’on pouvoit à bon droit appeler son Eminence, et qui estoit tousjours vestu de rouge, avoit esté fait en apparence pour un colosse ;


63. De même pour Charles Sorel : « Il est fils, dit Gui Patin, d’un procureur en parlement » ; puis il ajoute en vrai médecin : « sa mère est morte hydropique, et son père d’une fièvre quarte, qui est la plupart du temps fatale aux vieillards. »

64. Pour tout ce qui suit, jusqu’à la description de la taille rondelette et courte de Charroselles, il faut encore lire Gui Patin, qui, en une phrase, fait le même portrait pour Charles Sorel : « C’est, dit-il, un petit homme grasset, avec un grand nez aigu, qui regarde de près. »