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rent en peu de temps en telle reputation de vertu, que toutes les religieuses l’admiroient au dedans, et les directeurs la publioient au dehors. Ce bruit vint jusques aux oreilles de mademoiselle Laurence, qui hantoit quelquefois dans ce couvent, à cause qu’une de ses amies y estoit nouvellement professe. Apres qu’elle se fut bien instruite de la qualité de cette nouvelle pensionnaire, elle crut que ce seroit bien le fait de son cousin Bedout, qu’elle avoit dessein de marier à quelque prix que ce fust. Depuis qu’il avoit si honteusement perdu sa maistresse Javotte, elle l’avoit souvent entendu pester contre la coquetterie des filles du siecle, puisque celle-là en avoit tant fait paroistre, malgré la grande retenuë et la severe éducation de sa jeunesse. De sorte qu’il avoit hautement juré qu’il n’épouseroit jamais de fille, si ce n’estoit au sortir de quelque religion bien reglée. Elle luy proposa ce nouvel exemple de vertu, qu’elle disoit estre son vray fait, ce qu’il escouta volontiers. La seule difficulté qu’ils trouverent, ce fut de sçavoir comme on pourroit tirer Lucrece de ce couvent, et luy faire proposer une chose si opposée à la vocation manifeste qu’elle avoit à la vie religieuse. Laurence fit en sorte que, pour mieux instruire Bedout de son merite, il luy tint compagnie quand elle vint voir la religieuse de sa connoissance, qu’elle fit prier d’amener avec elle Lucrece à la grille.

Là, Bedout n’estoit pas obligé à faire le galand ; c’est ce qui l’enhardit d’y aller. Mais il se contenta d’être auditeur, et il fut ravy des belles moralitez qu’il y entendit debiter à Lucrece sur les malheurs de cette vie transitoire et sur l’excellence de la retraite, qui se ter-