Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle eut soin particulierement de gagner, par les presens qu’elle luy fit, afin qu’elle dit à toutes les personnes qui la viendroient demander qu’elle estoit tousjours enfermée dans le couvent. Elle prit pour cela des pretextes assez specieux, comme de dire qu’elle vouloit éviter l’importunité des visites56 de beaucoup de personnes qui l’empeschoient de bien vacquer à la pieté, et que c’estoit pour les éviter qu’elle avoit abandonné le siecle. Elle pria mesme, tant de bouche que par escrit, tous ses amis, de la laisser en repos dans son cloistre, au lieu de luy venir estaller des vanitez ausquelles elle avoit renoncé.

Quand il est question de salut, il n’est rien si aisé que de faire mentir des gens devots : la pauvre touriere, qui estoit simple, et qui ne rafinoit pas assez pour songer que Lucrece pouvoit, en demeurant dans son cloistre, se garantir de cet inconvenient, la crut avec toute la facilité possible, et ne manqua pas de dire au peu de gens qui venoient pour la voir, qu’on ne pouvoit pour lors parler à elle ; tantost elle estoit indisposée, tantost elle estoit en retraite, tantost


56. Les pensionnaires des cloîtres ne se contentoient pas de recevoir des visites, elles en rendoient aussi. Le père Laguille nous parle de celles que mademoiselle d’Aubigné faisoit à Scarron lorsqu’elle étoit au couvent des Ursulines de la rue Saint-Jacques, le même peut-être où Furetière met Lucrèce en retraite. (Frag. des Mém. du P. Laguille, Archives littéraires de l’Europe, nº xxxv, p. 370.) On sait d’ailleurs combien ces retraites, qui, pour les dames de la cour, se faisoient la plupart aux Carmélites de la rue du Bouloi, avoient peu d’austérité. (V. Lettres de Sévigné, 15 oct. 1677 et 25 mai 1680.)