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des remerciemens, la compagnie se separa, et chacun se dit adieu jusqu’au revoir. À l’égard de Jean Bedout, apres une grande diversité de sentimens qui lui agiterent l’esprit, enfin cette honte l’ayant refroidy, il en vint à ce point qu’il remercia son bon ange de l’avoir préservé des cornes, que naturellement il craignoit, dans une occasion où il estoit en peril eminent d’en avoir ; et il eut presque autant de regret à la collation mangée qu’à sa maistresse perduë.

Dès le lendemain, tant pour punir Javotte de sa desobeyssance que pour la retirer du grand monde, où on croyoit qu’elle puisoit sa vanité, elle fut mise en pension chez des religieuses, qui avoient fait un nouvel establissement dans un des fauxbourgs de Paris. Ce ne fut pas sans lui faire des reprimandes et des reproches de la faute qu’elle avoit faite, et sans de grandes menaces de la laisser enfermée jusqu’à ce qu’elle fust devenuë sage. Mais, hélas ! que ce fut un mauvais expedient pour sa correction ! elle tomba, comme on dit, de fièvre en chaut-mal : car, quoy que ces bonnes sœurs vescussent entre-elles avec toute la vertu imaginable, elles avoient ce malheur de ne pouvoir subsister que par les grosses pensions qu’on leur donnoit pour entrer chez elles. C’est ce qui leur faisoit recevoir indifferemment toutes sortes de pensionnaires. Toutes les femmes qui vouloient plaider contre leurs maris ou cacher le desordre de leur vie ou leurs escapades y estoient reçeuës, de mesme que toutes les filles qui vouloient éviter les poursuites d’un galand, ou en attendre et en attrapper quelqu’un. Celles-là, qui estoient experimentées, et qui sçavoient toutes les ruses et les adresses de la galanterie, enseignoient les jeunes inno-