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chacun connoisse les humeurs de la personne avec qui il a à vivre d’oresnavant. Mais vous n’en avez point du tout quand vous voulez excuser ma niepce dans son procedé, non seulement en ce qu’elle a attendu à faire sa declaration si mal à propos, mais encore en ce qu’elle n’a pas voulu suivre aveuglement le choix de ses parens. Ils ont bien sçeu luy chercher ses avantages, qu’ils connoissent mieux qu’elle mesme ; et ce refus est d’autant plus ridicule, qu’il est fondé sur une folle esperance, qui n’arrivera peut-estre jamais, de trouver un marquis qui l’espouse pour son merite. C’est un dangereux exemple que celuy d’une fille qui par sa beauté aura fait fortune ; il fera vieillir cent autres qui s’y attendront, si tant est qu’il ne leur arrive encore pis, et que leur honneur ne fasse pas cependant naufrage. Souvent celle qui voudra engager par ses cajolleries quelque homme de condition se trouvera engagée elle-mesme, et verra eschapper avec regret, et quelquefois avec honte, celuy qu’elle croyoit tenir dans ses liens. Au bout du compte, quel sujet a ma niepce de se plaindre, puis qu’on luy a trouvé un party sortable, et un homme accommodé, qui est de la condition de tous ses proches ?

Vous avez touché au but (dit Jean Bedout, que la honte de cet affront et sa naturelle timidité avoient jusques-là rendu muet), car il est certain que les meilleurs mariages sont ceux qui se font entre pareils ; et vous sçavez, monsieur le prieur, vous qui entendez le latin, ce bel adage : Si tu vis nubere, nube pari. Il n’y a rien de plus condemnable que cette ambition d’augmenter son estat en se mariant ; c’est pourquoy je ne puis assez loüer la loy establië chez les Chinois, qui veut que chacun soit de mesme mestier que son pere. Or, comme